Intervention de Michel Teston lors de la séance du 9 novembre 2009 : Explication de vote sur l'ensemble du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe socialiste apparentés et rattachés est opposé à l'adoption de ce projet de loi, qui ouvre la voie à une privatisation progressive du groupe La Poste.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Michel Teston. Nous l'avons dit avec force tout au long du débat.
De son côté, le Gouvernement a cherché à obtenir que le Sénat se prononce rapidement. Pourtant, l'engagement de la procédure accélérée n'était pas nécessaire, sachant que la directive qu'il nous est demandé de transposer en droit interne n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2011.
La tenue des séances, sans interruption depuis le lundi 2 novembre en fin d'après-midi, à un rythme bien plus soutenu qu'en session extraordinaire, et alors même que nous sommes en session ordinaire, visait, là encore, à hâter la décision.
Nous dénonçons une nouvelle fois l'impatience du Gouvernement, ou plus exactement du chef de l'État.
À l'issue de ce débat, je veux vous faire part de ma grande inquiétude et de celle des membres du groupe socialiste au sujet de l'avenir du service public à la française.
Certes, depuis plusieurs décennies, la conception fonctionnelle du service public est venue s'ajouter à la conception organique. De plus en plus, des missions de service public sont confiées à des organismes qui ne sont pas des personnes morales de droit public.
Avec le changement de statut de La Poste, qui n'est d'ailleurs imposé par aucun texte européen, le plus ancien des services publics, mais aussi le plus emblématique, sera exercé à l'avenir par une société anonyme soumise, pour l'essentiel, aux règles du droit commun.
Jamais, jusqu'à présent, un gouvernement n'était allé aussi loin dans la remise en cause du service public.
M. Jean-Pierre Bel. Absolument !
M. Michel Teston. Ce n'est pas la formulation de l'article 1er, aux termes de laquelle « le capital de la société est détenu par l'État et par d'autres personnes morales de droit public », qui apporte une vraie garantie.
M. Roland Courteau. Certes !
M. Michel Teston. Rien ne garantit que le capital des actionnaires publics autres que l'État sera public à 100 %.
Quant à la participation de l'État, faute d'un plancher fixé par la loi, elle pourrait se réduire très sensiblement à l'avenir.
En outre, en application du parallélisme des formes selon lequel ce qu'une loi fait, une autre loi peut le défaire, rien n'empêchera l'État de présenter ultérieurement un autre projet de loi pour faire descendre la part des personnes morales de droit public, dont celle de l'État, au-dessous de 50 % du capital.
M. Roland Courteau. C'est sûr !
M. Michel Teston. Des constitutionnalistes l'affirment, ainsi d'ailleurs que M. Guaino, proche conseiller de M. Sarkozy, qui doit savoir mieux que personne ce que le Président de la République envisage pour l'avenir.
Mme Raymonde Le Texier. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Michel Teston. Nous sommes donc clairement dans une logique visant à faire sauter le statut d'établissement public à caractère industriel et commercial, verrou mis en place par la loi de 1990. Cette décision serait évidemment politique, mais elle pourrait, notamment, s'appuyer sur le constat de la nécessité de renforcer à nouveau, à l'avenir, les fonds propres de La Poste.
Cette hypothèse est crédible, car le mode de financement retenu pour le fonds de compensation du service universel postal est insuffisant. L'expérience que nous avons dans le domaine de la téléphonie fixe nous laisse dubitatifs quant à son efficacité. L'opérateur historique supporte en effet l'essentiel du financement, les autres opérateurs contestant bien souvent, y compris par voie judiciaire, la quote-part mise à leur charge par l'ARCEP. Même Pierre Hérisson, rapporteur de ce projet de loi, a qualifié dans le passé d'usine à gaz le dispositif de financement en place pour la téléphonie fixe.
Par ailleurs, l'ouverture totale à la concurrence risque de laminer les résultats de La Poste, car la concurrence ne sera réelle que sur les secteurs d'activité les plus lucratifs.
De surcroît, alors que nous avions eu un avis favorable de la commission, le ministre a refusé l'un de nos amendements, un de plus, qui visait à élargir l'assiette de la contribution des prestataires postaux au fonds de compensation. (M. Robert del Picchia s'exclame.) Une telle disposition aurait pourtant permis d'assurer de nouveaux financements pour le service universel. La Poste risque de devoir à nouveau assumer seule le surcoût du service universel postal.
Si une augmentation de capital se révélait nécessaire à l'avenir, qui peut penser que l'État et la Caisse des dépôts et consignations pourraient, ou voudraient, y consentir ? D'ailleurs, la Caisse a-t-elle vocation à demeurer très longtemps dans le capital d'une entreprise ?
Il nous sera alors expliqué qu'une « ouverture limitée » du capital est nécessaire.
Je m'arrête là, car tout le monde connaît la suite : rappelez-vous ce qui s'est passé pour France Télécom et pour GDF !
Cependant, chers collègues qui vous apprêtez peut-être à voter ce texte, réfléchissez à ses conséquences en matière de présence postale, de levée et de distribution du courrier, et en ce qui concerne le prix unique du timbre !
Le changement de statut comporte également des risques pour l'emploi, pour la retraite complémentaire des contractuels de La Poste et pour l'équilibre à moyen et long termes du régime de retraite complémentaire de l'IRCANTEC, pour les usagers, mais aussi pour le maintien du cadre contractuel qui régit les rapports de La Poste avec les communes, s'agissant des agences postales communales.
Tout au long des débats, nous avons présenté une solution alternative en vue du maintien de l'EPIC, solution qui suppose un financement intégral et pérenne des deux missions de service public pour lesquelles l'Union européenne laisse aux États membres toute latitude d'apporter un accompagnement financier. Il s'agit de la présence postale, ainsi que du transport et de la distribution de la presse.
Le Gouvernement n'a présenté aucun argument convaincant pour s'opposer à notre proposition. Cela confirme bien que cette réforme est purement dogmatique.
Aussi voterons-nous contre ce projet de loi, qui constitue la première étape d'une démarche progressive de privatisation, comportant, à terme, des risques sérieux pour le maintien du service universel postal, l'emploi, la présence postale, le prix unique du timbre, élément essentiel de péréquation, mais aussi pour l'aménagement du territoire et le lien social. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)